Billet de Sylvie Poirier, rédactrice en chef de
Vita
Publié dans l’édition Février-mars 2009
Dans la vie, il y a des moments qui nous laissent présager que l’avenir ne sera pas un long fleuve tranquille. Que malgré les vents favorables, nous allons ramer. Que malgré nos choix éclairés, ce sera la galère.
Je me souviens, il y a une vingtaine d’années, une de mes grandes amies m’a appelée et m’a dit: «C’est la catastrophe! Ma mère… On mange ensemble, ce soir? Je te raconterai.» Tout de suite, j’ai pensé à toutes sortes de choses: cancer, accident de voiture, bactérie mangeuse de chair, permanente ratée, dépression d’hiver….
Ce n’était rien de tout ça. Thérèse (elle portait le même prénom que ma mère) venait d’apprendre que son mari était amoureux d’une autre femme et qu’il la quittait. Sa nouvelle flamme avait 30 ans. Et vlan dans les dents!
Thérèse ne s’était doutée de rien. À 57 ans, aussi bien dire vieille, usée, bonne pour le musée, elle n’avait pas ressenti la moindre secousse annonçant ce tremblement de cœur, ce glissement de vie. Elle avait choisi de rester à la maison et d’y élever ses trois enfants avec dévotion. Elle croyait que son mariage était en béton.
Pourtant, elle s’est fait plaquer sans façon. Pas d’amis, pas d’argent, pas de métier. Elle s’est retrouvée dans un petit condo, le cœur en bouillie, la vie en déroute, l’âme pleine de bleus, l’esprit à la dérive. Combien de Thérèse ont vu leur beau bateau couler à pic après des années de bonheur mêlées de rancœur, de douceur, de fureur? Une armada.
C’était l’époque qui voulait ça. Amarrés à la famille, à la maison, les hommes avaient soudainement — vers la quarantaine, voire la cinquantaine — envie de prendre le large et de tout larguer. D’aller voir si leur testostérone pouvait encore faire des vagues. Au diable la famille, les obligations, la routine, la libido dans la cale… et vive le démon du midi! Le plaisir de séduire, d’être admiré, de frétiller comme un saumon dans des eaux troubles mais ô combien excitantes noyait tout sur son passage.
Thérèse, Denise, Irène, Jacqueline, Francine, Monique et toutes les autres survivantes pouvaient bien sauter dans un canot de sauvetage et faire naufrage sur n’importe quelle plage, rien ne ferait changer de cap leur aventurier volage.
Ce souvenir fait remonter à la surface une émotion qui a probablement submergé bien des femmes: la frustration. Frustration d’être la farce de la dinde (ou de la nouvelle poule de son mari), la sirène amochée, la victime à réanimer, la mère éplorée, la femme ridée, poquée, «bourreletée». La femme qu’on ne désire plus.
Ma seule consolation, aujourd’hui? Les femmes ont appris à nager en solitaire. Elles sont mieux préparées à surmonter les écueils de l’existence, à surfer sur les obligations, à naviguer contre vents et marées. Elles voguent aussi bien entre les creux et les crêtes de leur vie personnelle, professionnelle et familiale que de leur vie amoureuse. Fini l’unique port d’attache.
De nos jours, les femmes de la trempe des Thérèse, Denise, Irène et autres figures de proue — matures, séduisantes, énergiques — attirent de plus en plus d’hommes, et même des plus jeunes (voir notre reportage Ils préfèrent les femmes mûres… Pourquoi? ). Serait-ce ça, l’équité? Si oui, embarquement immédiat, et vogue le navire!
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