Billet de Sylvie Poirier, rédactrice en chef de
Vita
Publié dans le numéro d’été 2009
Vous est-il déjà arrivé de jeter un coup d’œil sur le chemin parcouru de votre (courte!) vie et de constater que cette dernière n’était finalement pas aussi banale que vous l’imaginiez? Que même si vous n’étiez pas une célèbre espionne, une athlète olympique ou une star de cinéma, votre existence était parsemée de moments tendres, drôles, bouleversants, surprenants; de premières expériences mémorables et de dernières fois tout aussi inoubliables (voir notre article «La dernière fois…» dans la dernière édition du magazine Vita )? Que ce bilan n’avait peut-être rien d’un grand film d’aventures, mais qu’il convenait parfaitement à votre nature?
Pour ma part, j’ai dans mon baluchon existentiel quelques dernières fois anodines, ordinaires, émouvantes, épeurantes, gênantes, amusantes… D’ultimes marqueurs de temps soulignant la fin d’une époque, le début d’une nouvelle ère, le passage d’une vie.
Je me souviens très bien, entre autres, de ma dernière expérience de camping: j’ai alors dit adieu aux maringouins, à l’humidité, au sac de couchage aux allures de sarcophage (sûrement à l’origine de ma claustrophobie), aux toilettes de fortune, à l’odeur de naphta émanant de la chaufferette, aux coassements des grenouilles et des autres campeurs… Je n’ai aucun regret.
La dernière fois que j’ai dansé la claquette, j’avais 14 ans. Nous étions chez mes grands-parents, le soir de Noël, et toute la parenté (une trentaine de personnes) était arrivée. Ça riait, ça jasait, ça s’obstinait. Pendant que mes tantes sirotaient leur p’tite crème de menthe verte, que mes oncles s’enfilaient leur cinquième flotteur et que mon grand-père fumait sa pipe dans son La-Z-Boy en cuir brun en attendant ma prestation (c’est d’ailleurs pour lui que j’affrontais ce public éméché), je peaufinais ma tenue. Puis, je me suis pointée dans le salon et j’ai «claquetté» sur un prélart mou, habillée en Shirley Temple, sans entendre une seule note du 45 tours qui jouait sur le tournedisque… Peu après ce dernier épisode, je me suis inscrite à des cours de ballet jazz.
Je me rappelle aussi ma dernière cigarette. À 29 ans, mon endocrinologue m’a gentiment fait remarquer que j’avais un teint gris cendré (un compliment qui fait toujours du bien), que mes dents allaient bientôt jaunir et que je riderais plus vite que mon ombre si je ne cessais pas de fumer. Pour ajouter à ses bons mots, il m’a montré des photos de poumons brun calciné (d’un chic!) et de membres amputés. Effet-choc assuré. Ça a marché, j’ai écrasé.
La dernière fois que j’ai fait une crise de foie, je me suis juré de ne plus jamais prendre un apéro au resto, suivi de quelques verres de vin et d’un digestif, le tout arrosé (au bar d’un ami) de shooters aux couleurs de l’arc-en-ciel, gracieusetés du portier ou du gérant de l’établissement! Quelle horreur! C’est F-I-FI N-I-NI!
La dernière fois que j’ai fait du ski alpin (je sais, c’est l’été, mais c’est le seul vrai sport que j’ai réellement pratiqué), on m’a conseillé de me concentrer sur l’après-ski, question de sécurité. Pourtant, j’avais à peine endommagé la cabane du préposé au T-bar — en descendant en downhill (l’unique technique que je maîtrisais vraiment) la pente la plus abrupte (à noter qu’au Lac-Saint-Jean une pente est synonyme de vallon) — lorsque je l’ai percutée de plein fouet. J’ai bien accroché quelques skieurs au passage, mais personne n’a été sérieusement blessé. À partir de ce moment, je me suis mise au ski de fond et je ne vous raconterai pas pourquoi j’ai finalement opté pour la raquette…
La dernière fois (je vous en passe un papier!) que je me suis cassé un petit orteil, je n’exécutais pas de triple vrille arrière suivie d’un salto avant, non, je passais l’aspirateur! En écrivant ces lignes, mon pied gauche reposant sur un coussin, engourdi de ne pas bouger, bleu de honte, je me dis que si nous devions faire la liste de toutes nos dernières fois, nous aurions là le portrait assez juste de ce qu’est la vie: un tour de manège sur des montagnes russes, rempli de ah!, de hi!, de ho! et de bah! Faites l’exercice, pour voir.
Merci pour cette article, je viens de découvrir votre site et je trouve cette article vraiment bien. Au plaisir de vous lire
Commentaire par marion — 1 juin 2009 @ 17:17