Enfin, l’été. Il flotte dans l’air un parfum d’optimisme et de légèreté. Corps et esprit s’alanguissent. On remet nos pendules à l’heure de l’indolence. Fini les journées surbookées et les agendas surchargés. En couple, en famille, en solo ou entre amis, on n’a qu’une idée en tête: ralentir! Voilà, le mot est lâché. À l’ère de la dictature de la vitesse et du culte de l’urgence, la lenteur suscite des réactions partagées. Pour les obsédés de l’accéléré, qui valorisent l’hyperactivité — au point de la confondre avec l’efficacité —, le ralentissement est un signe de paresse, un simple regard en arrière, un rejet de la modernité et de ses avancées technologiques. Les tenants de la slow attitude (littéralement, «attitude lente») y voient plutôt une avancée des mentalités. Pour eux, la lenteur est synonyme de prudence,de discernement; c’est une valeur vertueuse et tonique qui s’inscrit dans un nouvel art de vivre, celui de lever le pied et de reconsidérer ses priorités, de savourer le temps présent et de respecter ses rythmes biologiques, d’apprendre à regarder autour de soi et en soi.
Amorcé dans les années 80 par le slow food — qui fut souligné en 2001 par le magazine The New York Times comme une idée particulièrement influente —, le mouvement slow (
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) s’est imposé en douceur et s’est répandu sur la scène internationale et dans toutes les sphères de la vie, de l’alimentation à la sexualité en passant par l’éducation, l’habitation et le travail. De cette mouvance, l’idée de retrouver le rythme de nos besoins primaires et physiologiques a suscité un certain engouement pour la sieste. Plusieurs études scientifiques ont démontré les effets réparateurs et les bienfaits d’un court roupillon quotidien sur la santé physique et mentale, la mémoire, la concentration, la créativité et…la productivité!
D’illustres personnalités étaient de fervents amateurs de sieste: De Vinci, Hugo, Gide, Napoléon, Edison, Newton, mais aussi Einstein, qui la considérait comme le meilleur moyen pour élaborer de nouvelles théories mathématiques, et Churchill, qui pendant la Deuxième Guerre mondiale s’accordait deux heures de repos avant de prendre une décision. On raconte également que Dalí, un partisan du micrododo, avait l’habitude de s’assoir dans un fauteuil en serrant une clé entre le pouce et l’index, une assiette en étain à ses pieds. Quand il sombrait dans les bras de Morphée, la pression de ses doigts se relâchait, la clé tombait bruyamment dans le récipient et le bruit le réveillait: un somme éclair, certes, mais qui l’aidait à conserver son énergie et à stimuler sa créativité.
Des chercheurs britanniques en psychologie ont même établi que, chez plus de 30 % des individus, les meilleures idées surgissent au moment où ils s’assoupissent (alors que 10 % seulement affirment qu’elles leur viennent pendant les heures de travail). La raison? Lorsqu’on rêve, notre cerveau formule des combinaisons nouvelles qui favorisent l’imagination. Manifestement, le roupillon a tout bon et séduit de nombreuses sociétés. En Chine, la sieste est inscrite dans la Constitution de 1948 (article 49!) comme un droit pour les travailleurs. Au pays du Soleil levant, où le terme karoshi désigne «mort par surmenage» et où près de 200 Japonais en auraient été victimes en 2007, la plupart des entreprises importantes la tolèrent, voire la favorisent et mettent à la disposition de leurs employés des salons de sieste. Aux États-Unis, des entreprises comme Nike et Google ont depuis longtemps aménagé des espaces détente pour leurs salariés tandis que les bars à sieste font fureur à New York. Si le Portugal compte désormais une association des amis de la sieste, en Espagne, la légendaire siesta — qui perd du terrain dans les grandes villes — est devenue un combat syndical. Alors, pourquoi hésiter encore à piquer du nez? Cherchez l’erreur. D’autant plus que la National Sleep Foundation estimait en 2007 que l’économie américaine pourrait gagner 18 milliards de dollars de plus par an si elle laissait ses travailleurs dormir 20 minutes par jour. De quoi inspirer tout patron et tout opposant à la lenteur… Et si, pour aller loin et réussir, il suffisait de dormir?
Suzanne Goudreau
Rédactrice en chef
Vita magazine.
La version originale de ce billet a été publié dans le numéro d’été 2012 du
magazine Vita
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