J’avais onze ans, ma sœur Diane, huit. Nous jouions dans la neige, marchant à quatre pattes à travers les tunnels de notre iglou; elle, vêtue d’un ensemble en phentex bleu acier tricoté main, et moi en vert olive: bonnet, pull, pantalon et mitaines. Très vintage. Remarquez, c’est peut-être ce qui nous a sauvées de la souffleuse qui (légende urbaine ou pas) hachait quelques enfants par année. J’aimais le moment où nous entrions nous réchauffer en buvant un Quik chaud et en mangeant des biscuits Goglu. Les gros Viau étaient mes préférés, mais faute de mieux, les Goglu valaient cent fois les cookies roses à la guimauve et à la noix de coco. Beurk!
Je me souviens aussi du laitier qui livrait des pintes de lait; du boulanger dont les buns à la crème nous rendaient hystériques. Le pain fesse n’était pas mon favori, j’aimais le pain brun – de son, comme disait ma mère – dont j’étais la seule fan. Un sandwich au Paris Pâté avec un verre de Tang en après-midi, et l’affaire était ketchup! Autres souvenirs valant bien les madeleines de Proust: les bonbons aux patates, les carrés aux Rice Krispies, la tire-éponge Je me souviens… et le gâteau aux cerises Duncan Hines. Ce n’était ni de la gastronomie ni de la bouffe santé, mais c’était drôlement bon!
J’adorais farfouiller dans un des tiroirs de la cuisine – une véritable caverne d’Ali Baba – dans lequel des bonbons de toutes sortes (caramels Kraft, toffees, fraises, bananes, boules noires et paparmannes) promettaient moult plaisirs et… caries (dont on était moins friandes, les dentistes étant plutôt des arracheurs de dents en ce temps-là). Un autre tiroir recelait une petite boîte mystérieuse, fascinante, aujourd’hui classée matière dangereuse: un paquet de cigarettes! Une semaine, c’était des Matinée King Size, une autre, des Peter Jackson, des Cameo mentholées ou des Mark Ten (et leurs coupons à collectionner). Une machine à rouler attendait son heure dans le fond du tiroir, tout comme le papier à rouler Vogue et Export «A».
Le bar, au sous-sol, était toujours bien garni: Beefeater, De Kuyper, Martini Rossi et cognac trônaient fièrement à côté des Dow, O’Keefe et Labatt de cette période festive où personne ne se sentait coupable de manger trop salé, trop sucré, trop gras, trop cuit, pas plus que de fumer comme une cheminée ou de boire jusqu’à la lie.
On ne juge pas les souvenirs. Bons ou mauvais, drôles ou tristes, sains ou non, ils parlent de nous, de notre passé. Ils mesurent la distance entre hier et maintenant.
La nostalgie ne rime pas nécessairement avec mélancolie, cet état tristounet ou teinté de regrets. Lorsqu’on plonge volontairement dans nos souvenirs et qu’on se revoit enfant ou adolescent, c’est tout un pan de notre petite histoire qu’on ramène à notre mémoire.
Dernièrement, dans le bureau d’une collègue, j’ai été attirée par un objet rouge si familier qu’il m’a instantanément accroché un sourire aux lèvres: une boîte de crayons Prismacolor bien taillés, pointant leur mine réjouie et affichant fièrement leurs couleurs. Tout de suite, les journées de rentrée scolaire, de tempête de neige, de cahiers à colorier, de dessins bariolés ont éclaboussé cette minute nostalgique telle une bulle-souvenir irisée.
On peut mesurer le chemin parcouru et les transformations survenues dans nos rues, notre village, notre vie, notre entourage en revisitant notre passé. Le mien est bordé d’objets-cultes (le cube Rubik, les machines à boules, le téléphone à cadran, le Polaroïd, le papier peint deux tons) ou quétaines (la boule disco, les plafonds en stucco, les tapis shag, les cendriers en verre taillé, les potiches et les postiches), de modes chics (le sac Kelly d’Hermès porté par Grace Kelly, le tailleur Chanel, le smoking Yves Saint Laurent, les bottes en loup marin et les manteaux en mouton de Perse – la fourrure n’étant pas encore diabolisée) ou pathétiques (le Fortrel, le palazzo, le jean momie à taille basse qui demandait 30 minutes de gigotage sur le lit avant qu’on réussisse à le zipper, le velours frappé, le cuir «patin», les souliers Patof, les sabots de bois, qui n’avaient aucune raison d’exister!)…
Sylvie Poirier, Rédactrice en chef Vita Magazine
La version originale de ce billet a été publiée dans le numéro d’avril 2011 du
magazine Vita
Et vous? Quels sont vos «objets souvenirs» qui vous font plonger dans une douce nostalgie?