Il n’y a pas si longtemps, une femme de plus de 40 ans était considérée comme une relique sympathique ou pathétique, une antiquité périmée ou bien conservée, une bagnole de collection ou un citron. L’idée qu’une femme de 50 ans puisse être désirable était un barbarisme qui effleurait peu d’esprits masculins. Par contre, l’homme vieillissant méritait notre respect, notre admiration, notre attirance, envers et contre son bide, ses tempes grisonnantes, ses sourcils broussailleux et son moineau fripé. Mais oui, quoi, c’est tellement sexy un mec mature et sûr de lui…
Et nous alors? Heureusement, le vent a tourné. On ne se fait presque plus larguer pour une plus jeune, une plus sexy, une plus belle. On n’est presque plus à la merci du portefeuille du petit ami ou du mari. On a désormais presque toutes une chambre à soi, et ça, Virginia Woolf apprécierait.
En lisant le billet d’Anna Wintour (61 ans) – rédactrice en chef du Vogue américain – dans le numéro d’avril, j’ai été touchée par l’hommage rendu à sa directrice de création, Grace Coddington. Cette grande rousse à la créativité prodigieuse et déjantée a débuté sa carrière comme mannequin au Vogue britannique, est devenue rédactrice puis directrice mode avant d’être recrutée par Miss Wintour – la papesse du style, la diablesse qui s’habille en Prada, la mère de l’incarnation… de la mode. Depuis 1995, Grace nous gratifie de reportages hallucinants, audacieux, magnifiques qui incarnent toute la force et la quintessence de la féminité. Pourquoi lui rendre un hommage maintenant? Parce qu’elle célèbre ses 70 ans.
La mode, les tendances, la créativité, l’avant-gardisme, l’inspiration n’auraient donc rien à voir avec l’âge? Tant mieux. Plus il y aura de Grace Coddington ici-bas, là où le jeunisme fait loi, plus notre univers comptera en son ciel d’étoiles immortelles et intemporelles.
L’âge, ce concept de plus en plus abstrait, flou, arbitraire, s’estompe au profit d’alliances intellectuelles, émotionnelles, professionnelles: nos modèles, nos muses, nos mentores, nos éveilleuses de conscience sont des femmes sur qui le temps coule comme sur un fleuve impétueux et fécond, tout en imprimant sa marque. J’ai une grande admiration pour les Phyllis Lambert (84 ans), Janine Sutto (90 ans), Marie Chouinard (55 ans), Benoîte Groult (91 ans), Vivienne Westwood (70 ans), Annie Leibovitz (61 ans) et Helen Mirren (65 ans) de ce monde. Et l’âge n’y est pour rien. Ce sont plutôt l’âme, le talent, la personnalité, la fougue, l’humanisme de ces icônes qui m’inspirent, me touchent, m’impressionnent.
Les mamies d’aujourd’hui représentent parfaitement ce nouvel état d’esprit: énergie, liberté, autonomie. Elles ont à peine la cinquantaine et déjà un parcours de battantes: carrière intéressante, famille bouillonnante, vie personnelle fringante; bref, elles font partie de ces femmes inspirantes qui nous donnent envie d’aller voir si on est encore présente (lire notre reportage «Les mamies d’aujourd’hui? Quelle énergie!», p. 71).
Et si la vie ne s’arrête pas à 40 ans, à 50 ans, à 70 ans, pas même à 90 ans, qu’estce qu’on attend pour réaliser nos rêves, nos passions, nos désirs les plus profonds? De frapper le 100 ans? Il ne faudrait peut-être pas trop pousser notre luck…
Sylvie Poirier
Ce billet a été publié dans le numéro de mai 2011 du
magazine Vita.