L'amour sur Internet

Comment avez-vous procédé pour tâter le pouls des gens sur la drague virtuelle?

J'ai mené mon enquête sur Internet . Le Web est un nouveau monde sans territoire qui se rajoute à l'ancien. Les hommes et les femmes que j'ai étudiés peuvent donc venir de n'importe où sur la planète. La seule limite que je me suis fixée est la langue, celle de la population francophone. J'ai notamment recueilli des témoignages québécois, suisses, marocains, tunisiens. Cela suffit à montrer que la révolution introduite par Internet est vraiment mondiale, et que partout, au-delà des spécificités locales, ce sont les mêmes nouvelles règles du jeu qui sont mises en place.

Qu'est-ce que le Web a changé dans nos rapports amoureux?
Internet a surtout séparé la rencontre en deux temps. Le premier est celui de la prise de contact et de la séduction en ligne, une période d'extraordinaire liberté qui donne l'impression que tout est possible. On jouit alors d'un très grand confort psychologique, car on peut être tranquillement chez soi - pas rasé (pour lui), pas maquillée (pour elle) -, avec le pouvoir magique de «débrancher» la relation quand on veut sans même avoir à s'expliquer! Et puis vient le deuxième temps de l'approche, celui de la rencontre «dans la vraie vie». Cette rencontre physique, face à face, est complètement différente de la précédente, parce qu'on ne peut pas s'en désengager aussi facilement. Cela dit, elle n'en est pas plus vraie pour autant. Paradoxalement, malgré les petits mensonges et les jeux identitaires en ligne, on y découvre souvent mieux l'univers de l'autre qu'au premier rendez-vous de visu, où tout cela sera oublié si l'impression visuelle n'est pas bonne. «Il (ou elle) ne me plaît pas!» Et voilà l'affaire classée en une seconde!

Peut-on parler ici d'une nouvelle révolution sexuelle?
C'est plutôt la suite d'une longue évolution historique. Autrefois, la sexualité faisait partie de l'univers des interdits et des transgressions, des mystères et des angoisses. C'était mal d'un point de vue moral ou alors risqué socialement. Depuis un siècle, la sexualité a progressivement basculé vers un comportement légitime , dont on a appris à parler. Aujourd'hui, elle est devenue une sorte de technique de bien-être et de plaisir, tant pour les couples mariés que dans l'univers des rencontres virtuelles. Dans ce dernier cas, Internet a évidemment accéléré le changement.

Qu'est-ce qui nous différencie des hommes en matière de rencontres sur le Web?
Les grandes enquêtes sur la sexualité montrent que les hommes ont toujours été plus intéressés par le sexe que les femmes et qu'ils manifestent une capacité de séparer sexe et sentiments, dans une logique de plaisir immédiat. De leur côté - et c'est un fait nouveau -, les femmes revendiquent à leur tour l'affirmation du droit au plaisir pour le plaisir. Parfois parce qu'elles le souhaitent vraiment, d'autres fois comme une simple expérience à un moment précis de leur vie. Pour les hommes qui draguent sur le Net, c'est extraordinaire! Surtout pour les pires machistes, qui se croyaient devenus politiquement incorrects. Car les femmes qui recherchent une aventure d'un soir ne veulent pas, pour cette occasion, d'un homme «gentil». Elles veulent un vrai mec, solide, qui ose s'affirmer, et même (plusieurs d'entre elles l'avouent) des bad boys, les nouveaux héros de la Toile. Et les hommes gentils, qui pensaient avoir répondu aux demandes des femmes, ne comprennent pas ce qui leur arrive quand ils sont ainsi rejetés! Mais fréquemment, après cette passade, ces femmes-là sont vite déçues. Commence alors une période de saturation, d'écœurement et de généralisation de la critique vis-à-vis des hommes: «Tous des connards!» Par la suite, elles peuvent avoir envie d'un engagement plus durable. Mais elles découvrent alors qu'il y a plein de traces d'elles dans Internet, avec des réputations associées à leur pseudo. Il existe beaucoup de casseroles virtuelles sur la Toile!

Les rencontres virtuelles menacent-elles le couple tel qu'on le connaît actuellement?
Oui, bien sûr. Autrefois, quand il y avait des moments un peu difficiles dans la vie à deux, on attendait que ça passe. Aujourd'hui, une des façons de rétablir son équilibre psychologique est d'aller faire un petit tour sur la Toile. «Juste pour voir», disent les aventuriers du clic. Or, une nouvelle relation peut s'y créer extrêmement vite. On envoie un message puis on se fixe rendez-vous au café! Heureusement, le couple arrive à résister. Il y a un tel rêve d'amour, un tel besoin d'amour dans notre société! L'amour qu'on construit et qui dure est cette «maison des petits bonheurs» dont j'ai déjà parlé dans un autre livre: un lieu de réconfort et de caresses.

Quel conseil donneriez-vous aux femmes de 40 ans et plus qui tentent désespérément de trouver l'âme sœur sur le Web?
Je leur dirais d'abord d'essayer de ne pas s'angoisser. Car plus on a peur de ne pas faire le bon choix, plus on risque de ne trouver personne. Lorsqu'on s'engage trop sérieusement dans la recherche de l'âme sœur, paradoxalement, on ajoute des obstacles. Aujourd'hui, de plus en plus de couples se forment à partir de petites histoires (notamment pendant les vacances) qui se transforment progressivement en grandes histoires. Si on ne se dit pas d'emblée que c'est LA rencontre de sa vie, on sera plus réceptif à la surprise, à l'envie de connaître l'autre. On devient alors plus prêt à s'abandonner... et c'est ainsi que la magie opère. Il faut savoir sortir de soi-même, ne pas essayer de tout contrôler, s'ouvrir à la nouvelle vie qu'on va construire à deux. Ce n'est pas simple dans une société qui nous apprend à toujours tout contrôler! L'amour est la seule chose qui ne fonctionne pas de cette manière, et c'est tant mieux!

La version originale de cet article a été publiée dans le numéro de décembre 2010 du magazine Vita .

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