La cigale et la fourmi
Ma copine Diane Dulude* cumule les REER depuis l'âge de 13 ans. Pendant que ses amies, la bouche encombrée d'un appareil orthodontique, se pâmaient sur Dennis DeYoung et investissaient l'argent de leurs soirées de gardiennage dans l'achat de ponchos boliviens, elle fantasmait plutôt sur «la magie des rendements composés», initiée en cela par Francine, sa première patronne. «Je lui dois tout, dit-elle, 32 ans plus tard. Cette employée du bureau de mon père, où je travaillais parfois l'été, m'a appris l'importance d'épargner. Et il me restait quand même assez d'argent pour m'acheter des blouses paysannes au Château.»
À des années-lumière de cette vision rigoriste de l'épargne, mon amie Marie-Claude Bastien* flottait, jusqu'à ses 40 ans, sur un nuage de déni et de pensée magique. «Il y a quatre ans, raconte-t-elle, j'ai réalisé que je n'avais que 15 000 $ de REER, pas de maison ni de chum, un fils qui commençait son secondaire au collège privé et une job de pigiste... J'ai eu un vertige. Je me suis soudain rendu compte que la retraite allait finir par arriver pour de vrai. Et j'ai paniqué!»
Une réaction fort normale, d'après la planificatrice financière Lison Chèvrefils: «À 40 ans, dit-elle, une femme qui n'a pas commencé à planifier sa retraite doit avoir une crise aigüe de panique. Et il faut que ça fasse mal!»
Alerte rouge
Les propos de Lison Chèvrefils sont typiques d'une planificatrice financière. Comme on ne verra jamais une hygiéniste dentaire badiner sur l'importance d'utiliser la soie tous les soirs ni un mécanicien blaguer en apercevant les premières traces de rouille sur la carrosserie de votre voiture, un planificateur financier ne rigolera certainement pas si vous lui avouez que, à votre âge, vous avez très peu de REER, toujours pas de maison, quelques dettes et un employeur qui n'a aucune intention de vous proposer un fonds de pension! Car pour les planificateurs, mieux vaut commencer à épargner tôt et prévoir que vous vivrez jusqu'à 100 ans. Sans toutes vos dents, bien sûr, ni tous vos morceaux en bon état, ce qui occasionnera d'inévitables frais médicaux.
Ces experts disposent d'ailleurs d'accablantes statistiques pour appuyer leur apparente paranoïa: ainsi, en 2006, les gains moyens des femmes au Québec représentaient seulement 71,9 % de ceux des hommes. Par conséquent, celles-ci arrivent à la retraite avec moins de REER et d'épargne, une pension plus petite (en décembre dernier, la rente mensuelle moyenne versée aux femmes était de 327 $ contre 525 $ pour les hommes) et... une espérance de vie du tonnerre: 85 ans pour une femme ayant pris sa retraite à 65 ans en 2004.