Souper de filles
Hier soir, souper de filles chez moi.
Je touillais mon tartare de saumon avec la sauce au labneh et au wasabi quand Émilie, 43 ans, a ouvert le bal. Elle s'inquiète pour son couple. Le désir l'a désertée. Triste période qui la fait se réfugier de son côté du lit dans un pyjama boutonné jusqu'au menton. C'est comme l'hiver avant l'hiver. Françoise, 65 ans, Guylaine, 52, et moi, 50, on a échangé un regard compatissant. Seigneur! On devrait réunir les femmes dans la fin de la trentaine pour leur dire la vérité: la préménopause attaque sans prévenir, on en a pour une dizaine d'années à sentir son métabolisme, son système hormonal, sa climatisation intérieure et ses articulations secoués comme un manhattan dans un shaker . On perd le sommeil et l'énergie, notre taille s'épaissit et notre libido se détraque, ce qui nous fait osciller du désir de sauter sur le premier inconnu au manque d'envie de sauter quiconque (même pas Brad Pitt si, par hasard, il échouait dans notre lit). Une période comparable, mais en pire, à l'adolescence. Émilie n'avait encore rien vu, mais ça, on ne lui a pas dit. Avec le nombre de tartines qu'elle s'était enfilées, ce n'était pas le moment de lui couper (aussi) le plaisir de la bouffe. À se demander si c'est pour ça qu'il y a tant d'émissions de cuisine à la télé...
C'est alors que Françoise s'est mise à s'agiter comme sur un siège d'auto chauffant qui chaufferait trop, vous voyez? «Mon mari a 10 ans de plus que moi et pourtant j'ai du mal à le suivre.» Elle a annoncé ça avec un sourire nirvanesque pendant qu'on restait là à déglutir, la fourchette en l'air. Tandis que Françoise gloussait en livrant moult détails devant une Émilie rouge pivoine, Guylaine et moi, on a piqué du nez vers notre assiettée de rôti aux pleurotes. Alors, comme ça, y a pas que la température planétaire qui est détraquée, les âges de la vie s'inversent aussi. Et on nous dit rien?