• Envoyer
  • Imprimer
  • Favoris
  • Document user evaluation
    (3 personnes)

Martine Ayotte – L'espoir après l’inceste

Victime d'inceste dès l'âge de deux ans, l'ancienne victime ose enfin dénoncer son père abuseur après plus de 40 ans de silence.

Modifié le :
2009-04-17 10:44
Publié le :
2009-04-08 14:07
Par:
Nolsina Yim

Dénoncer son père incestueux

«Attendez-moi dans l'entrée de l'hôtel. J'arrive tout de suite.» Au téléphone, la voix de mon interlocutrice est grave. Décidée. Mais légèrement voilée par la fatigue du long trajet en voiture qui l'a amenée de son Abitibi-Témiscamingue natale à Montréal pour la promotion de son livre La proie - récit d'une dénonciation (Les Éditions JLC). Martine Ayotte, régulièrement violée par son père jusqu'à ses 20 ans, y raconte non seulement son enfance meurtrie, mais aussi son désir de crier sa souffrance publiquement. Aujourd'hui, à 47 ans. Enfin.

«À cause de mon vécu, j'ai une mission à accomplir: prévenir la violence faite aux enfants. Et j'ai un message à transmettre: il existe toujours un espoir de s'en sortir, même dans la pire des situations», martèle l'auteure, en me fixant de ses yeux clairs sans ciller. Norbert Rivest, son mari à qui elle a dévoilé son terrible passé dès les débuts de leur relation, la couve d'un regard protecteur et amoureux. «Il ne m'a jamais trahie, jamais abandonnée, dit-elle. Et il m'a toujours crue.»

Une présence rassurante, surtout quand Martine doit ressasser ses souvenirs et parler de son géniteur... Un père incestueux et violent, emprisonné en 2006 à l'âge de 82 ans pour une peine de 7 ans, et qu'elle n'avait jamais mentionné devant ses amis. «Tous le croyaient mort. Aujourd'hui, je l'appelle avec indifférence "lui" ou "l'agresseur"; il ne représente plus rien pour moi.»

La loi du silence
L'ombre du «monstre», son corps nu... Le rouge de la douleur et de la honte après les abus... Sans compter ses perpétuelles angoisses de «bête traquée»...
Ces souvenirs d'un lointain passé continuent de peupler les nuits de Martine. Ces symptômes de stress post-traumatique m'habitent encore. Je n'arrive pas à me débarrasser de la peur, même si j'apprends aujourd'hui à mieux la contrôler et à me raisonner.

Publicité

istockphoto

Loin de l'abuseur et toujours victime d'inceste

Que dire de sa mère, qui devait forcément avoir quelques soupçons? Encore une fois, jamais Martine n'a pu se résoudre à qualifier son attitude de lâche ou à expliquer son silence troublant devant certains faits pourtant éloquents. «J'avais cinq ou six ans quand je suis allée chez le pédiatre avec maman. Après l'examen, il lui a parlé, puis elle est sortie en trombe du bureau... et je n'ai plus jamais revu ce médecin. Peut-être m'a-t-elle sacrifiée pour protéger ses deux autres enfants. Elle savait que son mari faisait des choses pas correctes, mais elle refusait de les voir.»

Au fond, Martine considère sa mère comme une victime collatérale du maître tout-puissant de la maisonnée. Son géniteur - un manipulateur rusé et cruel - qui ne cesse de la culpabiliser en lui répétant inlassablement qu'elle détruirait la famille si elle révélait leur secret. Alors elle se tait. Outre sa mère, sa sœur aînée et son jeune frère deviennent eux aussi complices du silence familial. Dans ce climat malsain, tous trois ne semblent rien deviner du malheur de celle qu'ils côtoient tous les jours. Et qui continue de subir régulièrement les assauts de son père jusqu'à la fin de ses études collégiales.

La douleur enfouie resurgit
Inscrite à l'UQTR, enfin éloignée de son bourreau et de ses proches, Martine reprend goût à la vie. Elle habite désormais en appartement. Se découvre une âme de «leader positif». Noue de belles amitiés, notamment avec Joëlle, alors la meilleure amie de sa sœur. Puis elle tombe amoureuse. Se marie. Fonde sa propre famille. Et fréquente très rarement sa parenté.

Mais en 2003, à 42 ans, la dépression frappe. Et Martine craque. La cause? Un trop-plein de douleur, qu'elle essayait de faire disparaître sous une montagne de travail. Longtemps, elle a tout mené de front: gérer la ferme familiale, préparer une maîtrise en développement régional, travailler en animation socioculturelle, puis diriger les relations avec la clientèle à l'Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT)... en plus d'être une épouse et la maman de deux filles et trois garçons. Ses enfants adorés et chéris qu'elle protège farouchement.

Publicité

De la thérapie à la dénonciation

En janvier 2004, Martine - encouragée par Joëlle, qui l'entourera toujours d'un mur de soutien sans faille - se plonge dans des thérapies de groupe portant essentiellement sur l'estime de soi. Enfin, on l'écoute et on croit à son statut de victime.

«Mais en 2004, pendant les thérapies de groupe, je n'avais plus peur d'être prise pour une menteuse», raconte Martine. Elle puise aussi dans ces séances la force d'écrire des «missives de vérité» à ses parents. «La vengeance ne m'a jamais effleurée. Je voulais juste me libérer, récupérer ma dignité, et que mes enfants aient confiance en moi.»

Ses enfants à qui elle révèle la terrible vérité à Pâques de la même année. Ils sont effondrés, mais jamais ne doutent de ses propos. Leur conviction profonde est simple: maman est innocente, et son agresseur finira en prison.

Peu de temps après, avec l'appui de Chantal Lessard, une intervenante du Centre d'aide aux victimes d'actes criminels (CAVAC), Martine trouve le courage de dénoncer son père à la police. Et en septembre 2004, le bourreau est arrêté. Le procès s'amorce en décembre, pour se conclure le 4 mai 2006. Verdict: l'abuseur est reconnu coupable après une laborieuse poursuite judiciaire.

Un acte libérateur
Aujourd'hui, l'auteure de La proie se sent presque apaisée. Libérée. Grâce au procès, l'agresseur a entendu sa voix. «Les victimes doivent comprendre que seul le silence les détruira. Elles ont la responsabilité de se tenir debout. Quand j'ai arrêté de subir, j'ai commencé à avancer, à cesser d'être une victime. Je suis fière de moi, de ce livre libérateur... après 45 ans d'un accouchement difficile.»

S.O.S. info
• Centre d'aide aux victimes d'actes criminels (CAVAC) Le réseau, qui couvre les 17 régions administratives du Québec, propose des services d'intervention post-traumatique et «psychosociojudiciaire», d'accompagnement et d'orientation vers des ressources spécialisées. Info: 1 866 532-2822 ou cavac.qc.ca.

• Centres d'aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS) Exclusivement destinés aux femmes agressées sexuellement, ils informent et accompagnent les victimes dans leurs démarches psychologiques ou administratives. Info: 1 877 717-5252 ou rqcalacs.qc.ca.

La version longue de cet article a été publiée dans l'édition d'avril du magazine Vita .

Publicité

Commentaires

  • rona-sylvie's avatar rona-sylvie a écrit :

    2009-04-15 2:12 PM

    En lisant l'article sur Mme Ayotte, je me suis moi-même remise dans l'état de victime. Ma soeur et moi avons été abusées par notre frère pendant plusieurs années. Nous avons gardé le silence sur la chose pendant 20 ans. Après avoir eu des enfants, tout est remonté à la surface. Je suis en thérapie et je ne sais pas si un jour je serai en paix avec ça! La peur revient par périodes et je fais avec... À bientôt. Sylvie C.
  • Isabeau's avatar Isabeau a écrit :

    2009-04-15 9:20 PM

    Bravo à toi Martine, ton cheminement est inspirant! Il est difficile d'oser faire le grand pas de poursuivre l'abuseur, quand la famille y est réticente, voire opposée... Ce courage est exemplaire! Merci!!!
Laisser un commentaire

Les champs marqués avec * sont obligatoires.

Vous devez être connectée pour laisser un commentaire.

Envoyer à un ami

Les champs marqués d'un astérisque * sont obligatoires.

monVita

Inscrivez-vous pour commenter les articles, publier vos histoires ou encore, participer aux forums.


Bienvenue ! Se connecter , s'inscrire ou voir l'aperçu .

Publicité

Abonnement

Infolettre

Soyez au fait des nouveautés. Abonnez-vous dès maintenant.

Infolettre

Partenaires

Concours

"));