Dénoncer son père incestueux
«Attendez-moi dans l'entrée de l'hôtel. J'arrive tout de suite.» Au téléphone, la voix de mon interlocutrice est grave. Décidée. Mais légèrement voilée par la fatigue du long trajet en voiture qui l'a amenée de son Abitibi-Témiscamingue natale à Montréal pour la promotion de son livre La proie - récit d'une dénonciation (Les Éditions JLC). Martine Ayotte, régulièrement violée par son père jusqu'à ses 20 ans, y raconte non seulement son enfance meurtrie, mais aussi son désir de crier sa souffrance publiquement. Aujourd'hui, à 47 ans. Enfin.
«À cause de mon vécu, j'ai une mission à accomplir: prévenir la violence faite aux enfants. Et j'ai un message à transmettre: il existe toujours un espoir de s'en sortir, même dans la pire des situations», martèle l'auteure, en me fixant de ses yeux clairs sans ciller. Norbert Rivest, son mari à qui elle a dévoilé son terrible passé dès les débuts de leur relation, la couve d'un regard protecteur et amoureux. «Il ne m'a jamais trahie, jamais abandonnée, dit-elle. Et il m'a toujours crue.»
Une présence rassurante, surtout quand Martine doit ressasser ses souvenirs et parler de son géniteur... Un père incestueux et violent, emprisonné en 2006 à l'âge de 82 ans pour une peine de 7 ans, et qu'elle n'avait jamais mentionné devant ses amis. «Tous le croyaient mort. Aujourd'hui, je l'appelle avec indifférence "lui" ou "l'agresseur"; il ne représente plus rien pour moi.»
La loi du silence
L'ombre du «monstre», son corps nu... Le rouge de la douleur et de la honte après les abus... Sans compter ses perpétuelles angoisses de «bête traquée»...
Ces souvenirs d'un lointain passé continuent de peupler les nuits de Martine. Ces symptômes de stress post-traumatique m'habitent encore. Je n'arrive pas à me débarrasser de la peur, même si j'apprends aujourd'hui à mieux la contrôler et à me raisonner.