Je parle toute seule
«Qu'est-ce que je vais bien pouvoir cuisiner ce soir? Des pâtes? Hum, j'ai l'impression qu'on n'a mangé que ça la semaine dernière. Une casserole de poulet aux poivrons, alors? Ah non, trop chers, ces poivrons! Voyons voir... Tiens, le prix des aubergines a plus d'allure. Si j'en achetais quelques-unes pour les farcir, ça ne devrait pas être méchant du tout. Il me faut donc un peu d'agneau haché, du persil frais, des...»
Depuis que l'oreillette Bluetooth a été lancée sur le marché, je ne compte plus le nombre de fois où j'ai cru qu'un de ses utilisateurs se parlait tout seul ou qu'il s'adressait carrément à moi. À l'épicerie, ce jour-là, en m'approchant de la dame aux aubergines, j'ai discrètement observé ses oreilles avant de me présenter et de lui demander, le plus délicatement possible, pourquoi elle soliloquait comme ça. «C'est une excellente question et je ne suis même pas froissée que vous me la posiez, a-t-elle répondu. En fait, vous n'êtes pas la première à m'en parler. Quand je suis indécise, mes idées s'organisent beaucoup mieux lorsque je les verbalise. Alors peu importe l'endroit où je me trouve, il m'arrive de penser tout haut. Tant pis si ça a l'air fou! J'assume totalement ma petite manie.»
Est-ce grave, docteur?
Quoi qu'on en dise, personne n'y échappe. Un jour ou l'autre, on finit toutes par claironner ce qui nous passe par l'esprit. Il suffit qu'un enragé du volant nous coupe en pleine heure de pointe, qu'on supprime par mégarde un fichier important ou qu'on s'aplatisse le pouce avec un marteau pour en avoir la preuve. «Dans ces cas-là, rares sont les gens qui ne se mettent pas aussitôt à sacrer haut et fort, estime le psychologue Clément Patenaude. C'est même un réflexe sain, parce qu'en exprimant ouvertement notre colère, notre frustration ou notre douleur, on se défoule et on laisse sortir la vapeur!»