Magasiner: une corvée?
Un rendez-vous annulé à la dernière minute? Tant mieux! Ça me laisse trois belles heures devant moi. J'en profiterai pour aller m'acheter des chaussures de marche. Puis je dînerai en lisant. Erreur et malheur! Je reviens à la maison bredouille, affamée, fâchée. Pourtant, ce n'était pas le choix qui manquait, croyez-moi! Mais c'est justement ça, le problème: il y en avait beaucoup trop. À force de butiner d'un modèle à l'autre, de branler dans le manche, de réfléchir et de calculer, les heures ont passé... et j'ai senti la frustration monter. J'aurais voulu claquer les portes tournantes à toute volée! J'ai simplement abandonné. Je n'ai même pas eu le temps de casser la croûte. Je sais, vous aussi, c'est pareil partout et pour tout: abondance, surabondance, méga-hyper-abondance. De produits, de fonctions, de formats, de couleurs, de marques et de prix.
Prenez les dentifrices: il y en a contre la carie, pour les enfants (les tubes sont tellement cute!), pour blanchir les dents, pour protéger l'émail, pour combattre la sensibilité gingivale, pour lutter contre la mauvaise haleine. Stop, s'il vous plaît: JE VEUX SEULEMENT ME BROSSER LES DENTS!
Même chose pour les voitures, les robots culinaires, les vernis à ongles, les crayons, les boulons, les bonbons... et même les soutiens-gorges (un gris qui pigeonne, un rouge qui comprime, un rose qui découvre, un noir qui recouvre, un léger qui s'étire, un résistant garanti 10 ans). Et je vous fais grâce des courses au supermarché. Ah! L'épicerie. La seule vue du comptoir des yogourts m'épuise, et je ne me suis pas encore approchée des détergents à lessive!
Mais il n'y a pas que le choix qui m'énerve, il y a aussi le temps perdu. C'est long, choisir. Et comme l'exercice vous gruge les nerfs tout autant que les minutes à l'horaire, le shopping cesse d'être une partie de plaisir pour devenir une réelle source de stress. Car magasiner, c'est comme partir en expédition!
À ce sujet, la journaliste Lucie Dumoulin a publié dans Internet un commentaire intéressant sur Le paradoxe du choix , un essai de Barry Schwartz, professeur de psychologie sociale: «Il semble y avoir un rapport entre la plus grande source de stress de notre époque - le manque de temps - et la profusion de biens et services, car chaque option (restaurant, vêtement, destination de voyage, tondeuse à gazon) exige d'être analysée, comparée, évaluée au cours du processus de décision qui sous-tend nos choix. Et que dire de l'effet néfaste sur le bienêtre et la santé des sentiments engendrés par les comparaisons sociales basées sur les apparences d'aisance matérielle: jalousie, frustration, hostilité... Voilà ce qui vient automatiquement avec une culture de l'abondance.»