Aidante (ou élue) naturelle
En pleine nuit, dans une urgence bondée du centre-ville de Montréal, j'attends avec ma mère qui vient de faire une hémorragie. Et la semaine précédente, des policiers qui l'avaient trouvée égarée au coin d'une rue m'ont réveillée pour que j'aille la chercher. Alors que mes grands enfants devenaient moins exigeants, que mes contrats professionnels s'enchaînaient et que je respirais enfin, ma mère - perdue dans sa mémoire - s'est mise à avoir besoin qu'on veille sur elle...
«S'il y a une femme dans le groupe familial, elle est désignée d'office comme l'aidante principale», constate Nancy Guberman, professeure à l'École de travail social de l'UQAM, qui s'intéresse aux aidants naturels - dont les deux tiers sont des femmes - depuis plus de 20 ans.
«On devrait même parler d'élue naturelle!» s'exclame Sandra Legault, célibataire, graphiste et humoriste de 55 ans, qui s'occupe de sa mère depuis son tout jeune âge. «Peu importe le nombre d'enfants dans une famille, dit-elle, il y en a toujours une ou un qui porte tout le fardeau. Dans mon cas, il faut tellement que j'argumente pour que mon frère me donne un coup de main que je préfère laisser tomber. En tant que pigiste en édition, j'ai des échéanciers serrés et des dates de tombée à respecter. Quand on fait appel à moi, je peux difficilement refuser. Mon frère, lui, est employé à temps plein, mais il ne réussit jamais à prendre une journée de congé pour s'occuper de notre mère! Cela dit, j'avais mis en branle tous les services requis pour qu'elle puisse rester chez elle: popote roulante, visites à domicile du CLSC, etc. Mais ma mère a jeté tout le monde dehors! Elle ne se lavait plus, ne mangeait plus, se terrait dans sa chambre. Son logement était devenu insalubre. Anxieuse et dépressive, elle m'appelait à toute heure du jour ou de la nuit. J'étais sur le qui-vive 24 heures sur 24. À une époque, toutes mes journées de congé lui étaient consacrées. J'avais pourtant l'impression que ce n'était jamais assez.»
Après avoir entrepris les démarches pour placer sa mère en résidence - contre sa volonté mais pour sa sécurité -, Sandra a sombré: «J'ai fait une dépression. Il a fallu que je craque avant de me permettre de lui dire non.»