• Envoyer
  • Imprimer
  • Favoris
  • Document user evaluation
    (4 personnes)

Trouver une oasis de paix au coeur du désert

Hantée par un douloureux souvenir de vacances, Louise-Marie Bédard a campé dans un désert du Mexique pour confronter une vieille peur qu’elle traîne depuis l’enfance.

Modifié le :
2009-01-27 14:12
Publié le :
2008-11-15 16:25
Par:
Nadine Descheneaux

Retour sur soi

J'avais 15 ans. Ma famille et moi traversions les États-Unis et le Mexique en voiture pour nous rendre à Acapulco. Du sud du Texas à Mexico, le paysage s'est résumé à un long et interminable désert s'étendant à perte vue. Le désert du Chihuahua m'effrayait. J'avais peur des insectes, des scorpions, des cactus et des serpents. Je me souviens très distinctement d'un moment en particulier. L'auto était arrêtée. Je lisais un roman quand j'ai levé les yeux. Des hommes portant des iguanes dans leurs bras entouraient la voiture. Paniquée, j'ai hurlé! À l'époque, les seuls iguanes que j'avais vus servaient de monstres dans des films d'horreur japonais!

Vingt-cinq ans plus tard, alors que je partageais ma vie avec un Mexicain, Edson Mario, ma peur du désert et de la faune qui l'habite ne s'était pas évanouie. Edson, lui-même «un fils du désert», m'avait alors proposé d'aller camper pendant trois jours dans un désert. Rassurant, il m'avait promis que je n'avais rien à craindre puisqu'il serait à mes côtés. C'était l'occasion rêvée de confronter mes peurs. Je l'ai saisie.

De Mexico, nous nous sommes rendus à Matehuala, une petite ville au sud de Monterrey, Nous y avons passé une nuit avant de nous rendre à Real de Catorce. En camion, nous avons emprunté le «Túnel de Ogarrio». Ce long tunnel de 2,3km, creusé dans le roc et éclairé par des lumières jaunâtres, était le seul accès à l'ancienne ville minière. Real de Catorce est une cité un brin surréaliste. Toute en pierre, elle est aussi mythique que mystique. Frappée par la désertification, elle fait l'objet de maintes légendes entretenues par des chamans huicholes. On s'y sent déjà loin de tout.

Avant de pénétrer dans le désert, chacun se doit de s'arrêter dans la vieille chapelle de Real de Catorce. Les Mexicaines que j'y ai rencontrées ont toutes tenté de me dissuader d'aller camper dans le désert. Le regard horrifié, elles se signaient en m'offrant des objets religieux pour me protéger des mauvais esprits. Même si elles vivent aux portes du désert, ces femmes n'y mettent jamais les pieds. Pour elles, il s'agit d'un lieu dangereux, presque maudit. Ces mises en garde pour le moins inquiétantes avaient de quoi m'ébranler. Edson, lui, rigolait: «Puras supersticiones! Elles ont peur de l'inconnu. Ce sont des ignorantes.» À Montréal, je lui avais dit «oui». Au cœur du Mexique, j'étais bien décidée à ne pas reculer, à aller jusqu'au bout.

Publicité

La traversée… du désert

Pour nous rendre dans le désert, il nous fallait demander l'aide d'un camionneur de Real de Catorce afin qu'il nous conduise jusqu'à Wadley, à travers la sierra, le long de falaises escarpées. Le lendemain, nous avons trouvé un camionneur disposé à entreprendre ce périple contre une somme d'argent. Chemin faisant, il s'est toutefois mis à rouspéter. Il ne s'attendait pas à devoir rouler dans le désert sur une distance de 50 kilomètres! Edson lui fit comprendre qu'il voulait camper dans une oasis bien particulière et nulle part ailleurs. Quelques pesos supplémentaires ont fini par amadouer le chauffeur, qui accepta avec le sourire.

Au cœur du désert, partout où le regard porte, la terre et le ciel semblent se mirer l'un dans l'autre. Les journées sont torrides, les nuits glaciales. Le soleil couché, il faut constamment alimenter le feu alors qu'un vent furieux ballote la tente.

Surprise : en sortant de la tente au premier matin, un chien sauvage me guettait! Le coeur battant, je me suis assise au sol, face à lui, seule: Edson était allé prendre une longue marche. Tant bien que mal, j'ai tenté de me calmer et de me convaincre qu'il ne m'attaquerait pas, puisque mes intentions à son égard étaient bienveillantes. Dans un éclair de lucidité, je me suis souvenue que nous avions des restes de poulet du souper de la veille emballés dans du papier d'aluminium. J'ai détaché une cuisse et je l'ai lancée à l'animal en lui parlant doucement. Après avoir mangé, il s'est tapi. Je venais de l'apprivoiser. Par la suite, le chien sauvage s'est mué en animal docile. Il me suivait partout. Je sentais qu'il veillait sur moi. À ma grande surprise, il m'a même protégé à un moment donné en attrapant dans ses crocs une bête qui fonçait à vive allure dans ma direction. Je n'ai jamais su ce que c'était, mais je sais que ce chien m'a défendu. En même temps, ce jour-là, j'ai compris que la «nature» n'attaque pas, elle se défend. J'avais probablement dérangé ou inquiété une bête du désert.


Publicité

Mieux vaut tard que jamais!

En plein désert, j'ai fait la paix avec mes vieilles peurs. Je me suis sentie en harmonie avec la Pacha Mama, la terre mère. J'ai pris conscience de l'interrelation entre tous les règnes. Je me suis émerveillée devant un nuage de papillons qui s'est envolé sous mes yeux comme un champ de petites fleurs jaunes emportées par le vent. La simple vue d'un troupeau de chevaux sauvages venus s'abreuver dans un plan d'eau à proximité de notre campement, m'a profondément émue.

Au bout de trois jours, c'est à regret que j'ai quitté le désert de San Luis. De retour dans le chaos et la pollution de Mexico, j'ai constaté que j'étais inhabituellement calme et détendue, comme si ce tourbillon de bruit ne m'affectait plus. C'est alors que les paroles d'un vieux chaman, rencontré lors de mon voyage en famille 25 ans plus tôt, me sont revenues à l'esprit. À l'époque, déstabilisée par l'activité trépidante de la capitale, j'avais demandé à un vieux Mexicain aux yeux rieurs, comment il faisait pour demeurer aussi serein au milieu d'une telle cacophonie . Il m'avait répondu: «Le désert est toujours en moi. Toi, tu n'as pas compris. Tu as laissé le désert derrière toi.»

À 40 ans, j'ai fini par saisir le sens de ses paroles. Dans le silence du désert, souvent seule, j'ai compris que je n'avais rien à craindre. Le désert serait à jamais en moi, mes illusions et mes peurs évanouies, à jamais.


Publicité

Commentaires

  • Marine's avatar Marine a écrit :

    2009-02-03 7:53 AM

    Quelle histoire fascinante! Ce n'est pas la première fois que je lis combien le désert a le pouvoir de changer le cours d'une vie, mais cela demeure pour moi un lieu terrifiant! Ça me soulage de constater que je ne suis pas seule. Chapeau à madame Bédard pour avoir eu le cran d'affronter ses peurs!
Laisser un commentaire

Les champs marqués avec * sont obligatoires.

Vous devez être connectée pour laisser un commentaire.

Envoyer à un ami

Les champs marqués d'un astérisque * sont obligatoires.

monVita

Inscrivez-vous pour commenter les articles, publier vos histoires ou encore, participer aux forums.


Bienvenue ! Se connecter , s'inscrire ou voir l'aperçu .

Publicité

Abonnement

Infolettre

Soyez au fait des nouveautés. Abonnez-vous dès maintenant.

Infolettre

Partenaires

Concours

"));