Comme au supermarché
Ça commence par un souper de filles. Deux d'entre nous, Agnès et Francine, annoncent s'être inscrites sur des sites de rencontres. Deux filles, début cinquantaine, installées comme il faut et flyées juste ce qu'il faut. De belles femmes dont le sort est enviable. Le genre dont rien ne présage qu'elles pourraient avoir des difficultés à rencontrer des hommes. Elles n'en ont pas, d'ailleurs. Leur vie professionnelle et leur agenda social sont bien remplis. Elles ont des amis, des enfants, des responsabilités, des projets. Des ex-maris et des amants, aussi. Que cherchent-elles, au juste? La perle rare? Bof. Une Liaison pornographique, comme Nathalie Baye dans le film de Frédéric Fonteyne? Pas seulement ça. Un emballement cardiaque, un peu d'aventure dans une existence trop prévisible? Une sorte de jeu, alors? Celui du chat et de la souris.
Jamais trop tard pour trouver l'âme soeur!
En rentrant chez moi, je n'arrête pas d'y penser. Ces femmes, mes amies, me ressemblent pas mal, au fond... Et si je décidais de tenter le coup, moi aussi?
Il faut ensuite résumer ce qu'on recherche. Après réflexion, j'affiche une référence délibérément littéraire: «Astarté cherche Moby Dick au long cours». Ça ne suffit pas, il faut détailler. Alors j'écris que, sans rien chercher de précis, je pourrais m'intéresser à un capitaine ayant déjà navigué, pêché, connu son lot d'émerveillements et de déceptions, affronté les tempêtes de la vie, survécu, s'étant forcément endurci la couenne en plus d'avoir - le cas échéant - élevé ses enfants . Navigateur aguerri, il ne veut plus que le meilleur. Comme moi. Parce que les feux de la passion, les papillons dans l'estomac aussi bien que les larmes, j'ai déjà donné, merci!
Emportée par mon élan, je réponds enfin à deux (longs) tests, non obligatoires mais bien faits: «Quelle est votre personnalité?» et «Quelles sont vos attentes affectives?» Il m'a fallu près de quatre heures pour compléter le tout. Je me suis prêtée très sérieusement au jeu. Ma photo, mes propos, tout ce que j'ai affiché est rigoureusement vrai. Je fais désormais partie du «catalogue».
L'idée ne me plaît pas vraiment, mais j'évite de m'y attarder. Ne va-t-on pas sur les sites de rencontres comme à l'épicerie? Tout comme mes amies et les quelque 3000 hommes qui sont ici répertoriés, je suis moi aussi devenue un «produit». Et ma stratégie marketing est claire: je n'en ai pas. «Je suis comme je suis», chantait Juliette Gréco. What you see is what you get . Au fait, combien d'hommes «intéressants» ai-je repérés au passage en m'inscrivant? Une dizaine. On va voir... ce qu'on va voir.