Léa, Jade, Rosalie prenez un numéro!
Dire que j'avais à l'époque salué la fantaisie et l'imagination débridée d'Amélie Nothomb pour avoir fait d'une Plectrude l'héroïne de son roman Robert des noms propres ... Maintenant que je suis en mesure de la comparer à une Anaphlette ou à une Audélasse, il me semble que sa trouvaille fait bien pâle figure. Et les recherches que j'ai dû effectuer pour cet article m'ont confortée dans cette idée.
En Suède, pour ne citer que cet exemple, un couple a tenté de rebaptiser son bambin de cinq ans en lui attribuant l'imprononçable prénom suivant: Brfxxccxxmnpccclllmmnprxclmn ckssqlbb 11116*. Alors là, il faut avouer qu'on bat tous les records d'extravagance, même si ce borborygme digne d'un mauvais film de science-fiction a finalement été rejeté par la Cour fédérale suédoise.
C'est que, là-bas comme ici, lorsqu'un prénom peut prêter au ridicule ou est susceptible de déconsidérer le nouveau-né, les parents sont fortement incités à réviser leur choix. Néanmoins, la Direction de l'état civil du Québec nous permet en principe de laisser libre cours à notre inspiration, presque aussi fertile que notre taux actuel de natalité. Ce qui a donné lieu à de nombreuses innovations l'an dernier, comme en témoignent les Apple, Lalune, Spring Flower, Princesse Joëlla, Mabelle Victoria, Marie-Immaculée, Miche-Lovely, Joyeuse, Divine-Joséphine, Nicsherdad, Orchidée, Goodness, Muse, Cherish-Joy, Shneidymariechristla, Mandarine et Harper (il y en a eu trois depuis la dernière campagne électorale fédérale!) qui rampent aujourd'hui dans le salon de leurs parents. Sans parler des pauvres Dafnay, Odréane, Ofély, Phanie, Polinne, Ghizlène, Mayganne ou Viktoriya, qui risquent d'être très fréquemment appelées à épeler leur prénom au cours des années à venir.
Si on se fie à la Banque de prénoms tenue par la Régie des rentes du Québec, les 10 prénoms les plus populaires de l'heure désignent pas moins de 15 % des poupons de sexe féminin. Avec la ribambelle de Léa, de Jade et de Rosalie qui naissent par les temps qui courent, il y a fort à parier que leurs prénoms seront d'ici quelques années suivis de la première lettre de leur nom de famille... histoire de ne pas voir débarquer d'un seul coup sept ou huit gamines en larmes dans le bureau du directeur d'école.
*Source: Touring, printemps 1997
