De Paris à Saint-Urbain
Petit matin dans l'arrière-pays de Charlevoix. Aux portes du secteur des montagnes, le village agroforestier de Saint-Urbain monte la garde. La journée s'annonce belle. Pour l'heure, les sommets déchiquetés du parc national des Grands-Jardins s'emmitouflent de brouillard, et une brume légère monte de la rivière du Gouffre - site par excellence de la pêche au saumon - qui coule paresseusement entre des berges verdoyantes. Une bonne odeur de résineux, de foin coupé, de terre grasse imprègne l'air. «Vous ne pouvez pas vous tromper, m'avait dit Isabelle Mihura. La Ferme Basque est située en plein village.» Justement, voici l'enseigne devant une maison ancienne toute blanche sous un toit rouge. La porte moustiquaire s'ouvre à toute volée. Suivie de près par la chienne Baia, Izar vient à ma rencontre. Du haut de ses neuf ans et demi, la fillette peut vous entretenir comme une vieille pro des mérites comparés des cretons et des rillettes de canard. À la voir avec sa petite sœur Alaia (8 ans), on se dit que la vie ici doit être super bonne. Elles sont resplendissantes. La maman aussi, d'ailleurs, fine et gracieuse. À 42 ans, Isabelle ne ressemble en rien à l'image qu'on se fait d'une éleveuse de canards. Sauf pour les hautes bottes en caoutchouc.
Avant le chamboulement
Dans une autre vie, Isabelle Mihura a travaillé pour la belle hôtellerie parisienne, du Lutetia au Méridien Étoile, du George V au Ritz. «J'ai émigré au Québec en 1995 avec l'intention de poursuivre ma carrière au Château Frontenac. Hélas, ma candidature n'a pas été retenue, et j'ai dû repartir à zéro.» Décidée à regagner sa place au soleil, la jeune femme gravit un à un les échelons, d'une pizzéria à un bistrot jusqu'au sélect Laurie Raphaël. «Là, j'étais dans mon élément. L'ambiance me rappelait le restaurant gastronomique que tenait mon père en Val d'Oise.» À vrai dire, l'entrevue au Château Frontenac n'aura pas été totalement inutile. Isabelle y a fait la connaissance de Jean-Jacques Etcheberrigaray, le beau directeur de réception, un compatriote basque. «À partir de ce moment-là, nous ne nous sommes pratiquement plus quittés.» Quatre ans plus tard, Jean-Jacques est muté au Manoir Richelieu, à La Malbaie. Comme tant d'autres, le couple succombe à la beauté de la région. «On a décidé que c'était à Charlevoix qu'on voulait passer notre vie. Pour les paysages, oui. Mais aussi et surtout pour l'atmosphère détendue et la gentillesse des gens.»